Des centaines de milliers de personnes sont attendues ce jeudi 18 septembre dans les rues françaises, huit jours après l’opération « Bloquons tout ». Portée par une intersyndicale au complet — une première depuis juin 2023 —, la mobilisation entend peser sur les arbitrages budgétaires à venir et contester une politique jugée austéritaire. En face, l’exécutif répond par un dispositif de maintien de l’ordre inédit et martèle une ligne de fermeté : « dès qu’il y a blocage, on débloque ».
Au-delà du face-à-face, trois enjeux structurent la journée : la capacité des syndicats à agrandir le périmètre de la contestation, la maîtrise de l’ordre public dans un contexte électrique, et la prise en compte politique d’un malaise social qui dépasse les cercles militants.
Une journée à deux temps : actions matinales, cortèges l’après-midi
Dès l’aube, des actions de blocage ont été tentées à Paris et en région (Toulouse, Caen, Nantes, Toulon). Elles ont, pour l’essentiel, été rapidement dispersées. À Marseille, les forces de l’ordre ont procédé à plusieurs interpellations dès le matin ; à Toulouse, le périphérique a été brièvement envahi au niveau d’Empalot et des lycées (Saint-Sernin, Berthelot) ont été ciblés. Dans la capitale, des dépôts RATP bloqués avant le lever du jour ont été débloqués.
La seconde séquence s’ouvre à la mi-journée : environ 250 cortèges sont annoncés, de Montpellier (10 h 30) à Lille (14 h 30), en passant par Rennes (13 h). À Paris, où les neuf leaders syndicaux défileront, le départ est prévu à 14 h de Bastille vers Nation.
Unité syndicale et revendications : du refus de l’austérité à la question des retraites
La journée s’inscrit dans un climat de rareté de l’unité syndicale. CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU et Solidaires, souvent dissonants depuis un an, présentent un front commun. Les revendications se recoupent autour de quatre axes :
- Alternatives budgétaires aux économies prévues pour 2026, avec l’idée d’un “budget de justice” sur le plan fiscal et écologique ;
- Refus d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage et de mesures perçues comme déflationnistes pour les revenus modestes ;
- Moyens pour les services publics (éducation, santé, justice) ;
- Réouverture du dossier retraites : abrogation pour la CGT, suspension pour la CFDT, symbole d’un conflit social non refermé depuis 2023.
Si la ligne syndicale est commune, des nuances affleurent : quand la CGT juge la politique actuelle en rupture de façade, d’autres centrales disent percevoir des marges auprès de Matignon. Ces écarts n’empêchent pas, pour l’heure, la mise en scène d’une unité que les états-majors savent déterminante pour élargir la base de la contestation.
“Dès qu’il y a blocage, on débloque” : le choix d’une démonstration d’ordre public
Avec 80 000 policiers et gendarmes déployés, appuyés par drones, 24 blindés Centaure et 10 engins lanceurs d’eau, l’exécutif assume un sursaut de présence — supérieur à celui constaté pendant les pics contre la réforme des retraites. L’objectif affiché est double : protéger les cortèges et étouffer les actions de perturbation économique, perçues comme susceptibles d’embraser la journée.
Côté syndicats, le message est pragmatique : défilés encadrés, pacifiques, « mobilisation crescendo » (CGT). Les responsables de gauche, qui défileront pour certains aux côtés des syndicats, appelent à la discipline. Après des rumeurs de sabotage démenties localement pour l’un des cas évoqués, les autorités s’en tiennent à une ligne de vigilance élevée.
Transports, écoles, pharmacies : effets tangibles pour les usagers
RATP et RER (Île-de-France)
- Métro : circulation aux seules heures de pointe (6 h 30–9 h 30 / 16 h 30–19 h 30), sauf lignes automatiques 1, 4 et 14 qui fonctionnent normalement.
- RER : A (≈ 3/4 en pointe ; 2/3 en creuse), B (≈ 1/2 toute la journée), D et E plus touchés.
- Bus/Tram : perturbations diffuses, des dépôts ont été débloqués au petit matin.
SNCF (national & régions)
- TGV Inoui / Ouigo : ≈ 90 % des circulations.
- Intercités : ≈ 1/2.
- TER : ≈ 3/5 en moyenne, selon régions.
Toulouse (Tisséo)
- Métros A & B : service normal ; Téléo normal.
- Tram T1 : MEET ↔ Arènes uniquement toute la journée.
- Bus : réseau dévié sur de nombreuses lignes à partir de midi ; navettes Centre-Ville, Access, Bonnefoysuspendues.
- Rocade : ralentissements et bouchons (Empalot).
Éducation & santé de ville
- Écoles : environ un tiers des professeurs des écoles grévistes ; blocages ponctuels de lycées (Paris 20e, Toulouse).
- Pharmacies : large fermeture (jusqu’à 9 sur 10), officines réquisitionnées pour un service minimal.
Aérien
- Vols annoncés maintenus ; prévoir plus de temps pour rejoindre les aéroports en raison des perturbations terrestres.
Dans les villes : entre tensions, renoncements et détours
- Marseille : interventions rapides pour dégager des axes, parcours de manifestation ajusté ; interpellationsmatinales, saisies de matériels (peinture, pétards, protections), selon la police.
- Toulon : opérations escargot sur l’A57 et l’A50.
- Toulouse : périphérique brièvement occupé ; contrôles et dispersion autour des points stratégiques (Ponts-Jumeaux, centres commerciaux).
- Clermont-Ferrand : quelques dizaines de personnes dès 6 h 30 au « carrefour des pistes » — symbole d’un activisme local qui se heurte, ce matin, à une gestion policière serrée ; une partie rejoint le cortège “officiel”.
Opinion publique : un soutien majoritaire mais prudent
Un soutien relatif se confirme : une majorité de Français dit approuver la mobilisation, souvent par sympathie plus que par adhésion pleine et entière. Le clivage est connu : les catégories populaires et une partie des actifs soutiennent la journée ; le camp opposé met en avant la dette publique et le partage de l’effort. Dans cet entre-deux, le gouvernement mise sur l’usure et les concessions ciblées ; les syndicats, sur l’élargissement progressif.
Pour Sébastien Lecornu, Premier ministre sur une “corde raide”, la séquence vaut test. Les annonces de l’été — et l’héritage des arbitrages portés par François Bayrou — ont installé un cadre budgétaire que l’exécutif présente comme point de départ. Les syndicats exigent une réorientation.
Trois scénarios se dessinent :
- Grande journée sans débordements majeurs : l’intersyndicale consolide sa crédibilité, et Metz/Matignon doivent ouvrir quelques vannes.
- Incidents en marge : l’exécutif politise l’ordre public et décrédibilise la contestation ; risque de rétrécissementdu soutien.
- Mobilisation moyenne mais durable : le rapport de force se joue dans la persistance (grèves par secteurs, “mardi/jeudi” répétés), l’usure change alors de camp.
La journée dira si la convergence syndicale parvient à déborder les cercles militants, si la stratégie de fermetégouvernementale rassure ou braque, et si l’équation budgétaire — dette, croissance, services publics — peut être renégociée sans raviver le traumatisme social de 2023.
D’ores et déjà, les acteurs se projettent : les syndicats parlent d’un cycle, l’exécutif d’aménagements circonscrits. Entre les deux, un pays fatigué mais attentif aux signaux que cette journée enverra.